vendredi 18 novembre 2011

Eloge des amitiés numériques


C’est la centième ! C’est la centième lettre, news, nouvelle que je vous écris et vous envois. Cela fait donc plus de cent semaines que cela a commencé, que notre « amitié numérique »  a vu le jour. Les premières étaient courtes, concernaient surtout la vie du resto, place Saint Etienne mais quelques petits récits personnels s’y étaient déjà glissés. Depuis, vous connaissez  (presque) tout de notre vie ??Cela n’a pas été facile pour moi, de trouver le ton, de définir où mettre la limite pour éviter toute « exhibitionnisme ». Je me suis plus ou moins donné comme philosophie, de raconter la vie dans ce qu’elle a de plus gai et surprenant, de rester attaché à la cuisine, puisque l’idée de ces lettres est née du restaurant, et d’essayer de donner DU SENS. Je considère que pour être extraordinaire, la vie ne doit pas nécessairement être faite d’événements extraordinaires, même s’il peut y en avoir aussi et c’est vrai que j’y ai eu droit à plus d’une reprise. Pour être extraordinaire, la vie doit être regardée, racontée, interprétée, lue sous un certain angle … qui lui donne sens. Et c’est la condition pour que nous nous apercevions que nous portons dans notre histoire, dans celle de notre famille, de nos parents, de notre communauté, des événements extraordinaires : une immigration, une aventure professionnelle, une histoire d’amour, une relation amicale, une relation avec nos enfants, que sais-je encore qui peuvent prendre une dimension extraordinaire parce que nous en ferons une lecture amoureuse, poétique, aventureuse, artistique et métaphysique. Nous ne sommes que ce que nous avons retenu de notre histoire et de nos rencontres.
Habituellement, tout ce que je raconte est vrai, est vécu ou a été vécu. Bien sûr, cela reste le regard, mon regard, porté sur ce vécu. Avec le temps, la nostalgie a grossi les traits les plus mélancoliques, et comme je suis « un incorrigible menteur »(A. Tabucchi), j’embellis, je poétise et j’essaye que ce soit agréable à lire.
Je me demande très souvent, et en fait avant chaque lettre, si je ne vais pas ennuyer, si je ne vais pas apparaître comme me prenant au sérieux. Il m’arrive souvent de penser, « mais qu’est-ce que les gens en ont à foutre de ce que je leur raconte ? ».  Ce qui me rassure et m’aide à continuer c’est que je n’ai plus, depuis longtemps, de demande de retrait du fichier et qu’au contraire, j’ai chaque semaine des demandes d’inscription, soit venant de vous qui me demandez d’inscrire vos amis, amies, soit de personnes qui en ont entendu parler et souhaite s’inscrire. Quelqu’un m’a même demandé quel était le prix. Vous êtes plus de six cents à recevoir ces mails et je sais que certains et certaines d’entre vous le partagent avec d’autres.
Florence Cayemaex  (FNRS ULG), sans le savoir, m’a bien aidé. Elle m’écrivit à l’occasion de mes soixante ans : « … je me demande toujours (avec le genre de curiosité éveillée dont tu parles) comment il faudrait qualifier le genre littéraire que tu inventes là (lettre, récit personnel et familial où l'on perçoit l'onde affaiblie mais bien là des mouvements historiques, carnet de cuisine, le tout à travers le courriel, ce qui change complètement les rapports entre destinateurs et destinataires)… Outre que j’ai bien sûr considéré cela comme un merveilleux compliment, cette réflexion de Florence m’a fait dire : « allons-y, continuons et on verra bien où cela aboutira.
Vos réactions, presque toujours positives sont bien sûr l’élément déterminant qui m’enlève tout envie d’abandonner. Est-ce lourd ? Non ce ne l’est pas dés que je commence à écrire. Mais écrire est épuisant et je retarde parfois de deux ou trois jours l’écriture. Ce n’est pas plus mal car cela m’aide à mûrir les idées.
Et voilà qu’à la veille de cette centième lettre, je tombe sur un article de Dominique Cardon intitulé « Eloge des amitiés numériques ». Et je me dis, « mais c’est moi ça ! ». Que sont mes lettres et ce qu’elles entraînent comme échange de courrier,  si ce n’est un moyen de cultiver et développer un réseau d’amitiés numériques.
Le sociologue Dominique Cardon est un observateur reconnu de la pratique d’internet et des bouleversements culturels qu’il entraîne.  Dans l’article en question, il répond à la critique la plus fréquente faite aux réseaux sociaux et à Facebook : « il ne peut y avoir d’amitié virtuelle, la seule amitié qui existe suppose le contact direct, humain, réel ». C’est une question qui je crois nous interpelle tous et que nous nous sommes souvent posée avant de nous inscrire dans un réseau ou l’autre. Est-ce si simple se demande Cardon. Ainsi toutes les amitiés directes, qui se font par la rencontre physique et orale directe seraient des amitiés nobles, parfaites, profondes et sincères et les amitiés numériques de fausses amitiés, sans profondeur, hors du réel ? Questionne-t-il. Une première critique que l’on peut faire à cette thèse c’est qu’elle induit l’idée d’ une discrimination en matière d’amitiés : une amitié, la vraie, que seule peut s’offrir une élite qui se déplace et fréquente les lieux de vie et de travail et un autre type d’amitié - fausse, virtuelle, artificielle - réservée aux exclus, à ceux dont la vie sociale s’est réduite comme peau de chagrin et à qui il ne reste qu’internet pour des relations anonymes mais qui pourtant les sort de leur isolement.
Mais, plus fondamentalement, Cardon pose une autre question : les amitiés « réelles » sont-elles si nobles que cela ? Sont-elles toujours si profondes et sincères et jamais superficielles ? Sont-elles dénuées de toutes envies, de toute recherche d’intérêts, de tout opportunisme et d’hypocrisie? Toutes nos amitiés, réelles ou numériques n’ont-elles pas des hauts et des bas, des moments faits d’élan de tendresse, de solidarité, d’entraide et d’amour et des moments de rejets, d’ennuis ou du moins d’indifférence?
Par ailleurs, n’avons-nous pas, ici c’est moi qui résume, des amitiés à intensité et géométrie variable ? Des amitiés fortes et des amitiés que Caudron catégorise comme faible et que je nommerais « légère ». C’est évidement la différence entre des amitiés si vieilles et si longues qu’une séparation, un éloignement semble impossible et des amitiés factuelles que l’on cultive moins, qui sauf exception, disparaissent quand les circonstances changent. Ainsi en est-il des amitiés que l’on noue dans son milieu de travail et qui souvent s’estompent quand on le quitte. Nous vivons tous cela à des degrés divers : on se fait des amis dans le train, au travail, dans un club sportifs ou autres. Nous avons tous des amitiés d’enfance qui se sont prolongées, consolidées et sont devenues si durables que nous n’imaginons pas qu’elles puissent disparaître un jour. Et aujourd’hui, voici qu’un nouvel espace, internet, permet de multiplier les contacts, la fréquence des contacts, la fidélité à ces contacts et l’approfondissement de relations qui, sans internet, seraient sans doute vouées à disparaître.
Y a-t-il dans toute cette constellation de rencontres, des amitiés plus nobles, plus vraies que d’autres ? Non n’est-ce pas. Il y en a de fortes, de moins fortes et de faibles mais toutes aussi nobles. Et si c’est bien le cas, internet et les réseaux sociaux ne sont-ils pas une fabuleuse opportunité de plus grande sociabilité pour chacun des individus que nous sommes ? Est-ce que ce nouveau mode de socialisation nous ferait abandonner les modes anciens, la rencontre directe, physique, la discussion autour d’une table, le voyage entre amis ? Peut être ce danger existe-t-il, mais j’ai l’impression pour ma part que c’est le contraire qui se produit et que cela se passe comme pour n’importe quelle rencontre. Marlène et moi fréquentons depuis de nombreuses années le même café, le matin avant d’aller au travail. Nous, les habitués, nous connaissons tous. Bien sûr, nous avons des liens plus étroits avec certains qu’avec d’autres, avec certains, nous nous faisons la bise, avec d’autres nous nous serrons la main, nous tutoyons certains et vouvoyons d’autres etc. Mais pour ma part je dirais que ce sont des amitiés. Légères (faibles pour Caudron) pour certaines, plus fortes et très fortes pour d’autres. Pour autant, chacune m’est sympathique. J’apprécie ce couple à qui nous serrons la main tous les jours, sans connaître leurs noms mais avec qui nous avons des échanges « tiens vous avez vu, on a fait du 100 km avec un nouveau type de vélo ? ». Le monsieur a eu un métier très spécialisé dans lequel il est encore impliqué et il est venu un jour avec des dizaines de reproductions de ce qu’il faisait. (C’est lui qui imprime les vitres des billards électriques par un procédé sérigraphique hyper sophistiqué que les boîtes de La Vegas lui envient). Je suis heureux de le rencontrer et il me manquerait s’il ne venait plus. Ces rencontres du café du matin ont donné lieu à de véritables relations amicales et suivies et pour certains se sont prolongés sur internet ou dans ce Google group CEC.
N’est-ce pas ce qui nous arrive à travers ces courriers hebdomadaires et les échanges de courrier qu’ils entraînent. D’une rencontre dans un restaurant, est né un courriel qui se voulait d’informations, devenus peu à peu des lettres fiches de recettes, des histoires d’enfance dans lesquelles la nourriture servait de point de départ pour finir par des histoires, des nouvelles et lettres d’amitiés. D’amitiés numériques, dont certaines oint été plus loin et sont certainement là pour durer et s’approfondir. Amitiés numériques mais néanmoins humaines, notre amitié,  qui j’espère durera encore cent autres semaines
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Notez déjà, bloquez à votre agenda et venez nous rejoindre, à la galerie Orpheu, rue Sainte Eloi, numéro 17,  ce mercredi 23 novembre de 18 à 21 heures
PHILIPPE GIBBON expose
Je vous parle souvent de lui, je vous en parlerai en détail lundi matin. Mais sachez que Marlène et moi y serons. Je vous transmettrai toutes les données. L’expo dure jusqu’au 11 décembre
Allei, comme on a dit.

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